La Fantasia
di Loris Chavanette
Je crois que l’essentiel de la fascination exercée par la disparition d’Elizabeth II tient dans la vieillesse de cette femme, incarnation de la continuité, et surtout de la dignité des personnes âgées. Nous aimons nos grands-mères, mais nous avons aussi une affection particulière pour les grands-mères des autres (certes pas de la même manière) parce qu’elles incarnent la fragilité à laquelle le temps, qui passe, nous condamne.
Dans mon roman La Fantasia, paru en 2020 chez Éditions Albin Michel j’ai voulu rendre hommage à la beauté de la vieillesse à travers mon personnage Mariane.
Extrait du ch. 6 :
Assise sur la tombe de son mari, Mariane se tenait de profil par rapport à la mer, sans doute pour se protéger de l’intensité des rayons qui dardaient fort. Elle portait, bien enroulée autour du cou, une étole noire en mohair lui couvrant aussi les épaules. Le vent se leva brusquement, une violente rafale siffla entre les tombes et découvrit un bout de son épaule. Antoine ne put lâcher des yeux ce brin de chair d’une blancheur d’écume, pendant que Mariane ajustait son voile avec une grâce et une lenteur infinies. Il se rendit compte qu’elle avait une manière à elle d’être belle.
Les années avaient mangé cette femme à qui il ne restait plus que la peau sur les os, mais quiconque l’aurait vue à cet instant aurait été saisi devant tant de fragilité. Était-ce son teint qui sous le soleil prenait une couleur douce de nacre sale ou les quelques mèches blanches échappées de son chignon, flottant joliment au vent, qui animaient d’une surprenante vigueur cette vieille relique ? La transformation s’opérait sous l’œil décontenancé d’Antoine. Elle paraissait plus jeune, plus gaie aussi, et ses discrets yeux plissés disaient avec noblesse ce que son cœur voulait taire. Un baiser de lumière lui avait redonné un peu de sa jeunesse.
« L’existence de cette femme a subi bien des tempêtes, et pourtant elle est toujours là et peut encore surprendre, méditait Antoine. Qui suis-je pour la juger ? Elle est allée jusqu’au bout de sa vie, elle sait qu’elle partira bientôt, et que là où elle va, on l’attend », se disait Antoine en admirant la chevelure blanche de sa grand-mère.
